DAGUERRE - Une toile rarissime de Raden Saleh estimée 1-1.5M€

jeudi 02 décembre 2021

Expert : Cabinet Turquin
 
HISTOIRE D'UN TABLEAU PRESTIGIEUX

Au XIXe siècle, Java, île de l’archipel indonésien, est une colonie hollandaise peuplée notamment par les colons néerlandais, et par une communauté allemande importante. C’est de cette communauté que sont issus les frères Cassalette, Félix et Ernst, ainsi que leur neveu Eduard, tous trois originaires d’Aix-la-Chapelle. Fervents collectionneurs, passionnés de sciences humaines et d’art, ils vont faire fortune dans le commerce à partir de 1842. Le tableau présenté à la vente par l’étude Daguerre le 2 décembre 2021 est acheté par Eduard Cassalette, neveu de Félix, probablement directement à l’artiste lors d’un voyage à Java. Resté dans sa descendance en ligne directe jusqu’à ce jour, il représente l’une des plus importantes additions au corpus de l’œuvre de cet artiste rare.
 


Raden Syarif Bastaman SALEH (Semarang, Indonésie 1811 ou 1814 - Bogor 1880)
Route descendant du mont Megamendung
134 x 165,5 cm
Sur sa toile d’origine. Cachet au dos de G Rowney à Londres.
Signé, localisé et daté en bas à droite en rouge : Raden Saleh F / Java 1861.
Au revers, sur le châssis, une marque au pochoir : « D104 »
Estimation: 1 000 000 - 1 500 000 €


Raden Saleh (Semarang, Indonésie 1811 ou 1814 – Bogor 1880), prince indonésien, montre très jeune des dispositions pour le dessin. À la suite de sa rencontre avec le peintre belge Antoine Payen, il part pour un long voyage en Europe qui durera 23 années. Il parcourt l’Angleterre, l’Ecosse, la Suisse, les Flandres où il rencontre le peintre de portraits Jan Adam Kruseman (1804-1862) et le paysagiste  Andreas Schelfout (1787-1870). Au cours de son périple, il séjourne en France où il rencontre son mentor Horace Vernet. Le talent de Raden Saleh ainsi que son raffinement et son érudition lui ouvriront les  portes du Salon où il exposera plusieurs tableaux. Le roi Louis-Philippe deviendra même acquéreur de l’un d’entre eux. Il est reçu dans toutes les cours d’Europe avec tous les hommages dus à son rang où il est regardé comme un prince exotique et cultivé. De retour à Java en 1852, l’artiste peint de nombreuses scènes de chasse et s’adonne à partir des années 1860 au paysage qui devient un de ses thèmes de  prédilection. L’artiste, très attaché à la nature et à la forêt tropicale, donne plusieurs versions du mont Megamendung dont le tableau présenté ici par l’étude Daguerre est non seulement le premier mais aussi le plus grand.

Première et rare représentation du Col du Megamendung

Le tableau représente une vue de la route qui traverse d’est en ouest l’île de Java et passe par le col du Megamendung. Les autres vues du Megamendung ont toutes été peintes entre 10 et 15 ans plus tard (entre 1871 et 1879) et se trouvent aujourd’hui conservées dans des musées ou collections privées. « C’est le premier, le plus grand et celui qui va monopoliser toute l’énergie de l’artiste pendant cette année  1861 » souligne Stéphane Pinta du Cabinet Turquin.

Un tableau naturaliste

La taille imposante et le soin apporté à son exécution où fourmillent nombre de détails botaniques font de ce tableau le plus important paysage de l’artiste. Si l’ambiance de la jungle et la moiteur tropicale sont parfaitement retranscrites, c’est aussi une scène de la vie quotidienne que Raden Saleh nous propose. La place centrale de la nature luxuriante n’empêche pas la mise en avant d’éléments narratifs discrets. Dans cette Route descendant du mont Megamendung, ombres et lumières se confrontent avec harmonie. Au centre de la toile se trouve un chariot qui semble dévaler la pente à toute allure. Il s’agit  certainement d’une voiture de poste. Le cocher semble intimer l’ordre à celui qui porte sur ses épaules sa cuisine ambulante, de s’écarter du chemin. Grâce à une autre vue du Megamendung (vente Cologne, Van Ham, 21 novembre 2008, n°678) on comprend que la pente était très raide et qu’elle obligeait parfois à remplacer les chevaux par des buffles.

Plus qu’une représentation topographique, c’est un témoignage riche de détails naturalistes et sensibles que Raden Saleh fait partager au spectateur.

Très marqué par l’école de peinture allemande du XIXet notamment celle du peintre Johann Christian Dahl (1788-1857), Raden Saleh aborde le thème du paysage dès 1853. À partir des années 1860, le paysage devient l’un de ses genres de prédilection. Mais si l’influence des peintres européens est perceptible dans les paysages de Raden Saleh, il sait les réinterpréter en s’inspirant de son héritage javanais.
Dans ce tableau, « nous sommes à cheval entre l’Extrême-Orient et l’Europe » analyse l’expert Éric Turquin. C’est justement « ce grand écart qui est passionnant chez Raden Saleh. On voit bien qu’il a une formation académique européenne et qu’il s’en sert pour diffuser l’amour de son pays auquel il est visiblement très attaché » souligne-t-il. Les plantes sont représentées avec beaucoup de minutie et de réalisme, témoins de l’observation attentive de Raden Saleh, de sa formation auprès du peintre Antoine Payen qui multiplie les études  botaniques sur le motif, et des sources documentées auxquelles l’artiste avait accès. « Le côté botanique est très intéressant. Il a certainement dû se baser sur les traités de peinture comme celui de Pierre Henri de Valenciennes dont il a pu avoir connaissance lorsqu’il était en France » continue Eric Turquin. Auprès d’Horace Vernet et des artistes hollandais et allemands, Raden Saleh a appris à restituer  l’atmosphère d’un paysage et leurs influences sont perceptibles dans le tableau.

Une Ode à la nature javanaise

Avec virtuosité, l’artiste javanais retranscrit sur sa toile l’opulence de la nature, la densité et la générosité de sa terre natale permettant ainsi au spectateur de voyager en un regard à des milliers de kilomètres de la culture occidentale. « C’est une ode à la nature, à la forêt tropicale si différente des forêts européennes. On laisse cette forêt libre de pousser à sa guise, c’est une forêt primaire. » décrit Stéphane Pinta du cabinet Turquin. « C’est un tableau qui est destiné à une famille allemande » explique Eric Turquin. Raden Saleh souhaite faire partager à son commanditaire allemand, son amour de la forêt tropicale. « l’Allemagne est le pays de la forêt organisée, plantée de résineux bien alignés et a contrario, le tableau montre une forêt vierge, non exploitée » souligne l’expert.

Un tableau acquis directement auprès de l'artiste et conservé dans la même famille jusqu'à nos jours

Il est possible de retracer l’histoire du tableau depuis son origine jusqu’à aujourd’hui. La Route descendant du mont Megamendung, acquise donc directement auprès de l’artiste, a été conservée dans la même famille depuis son acquisition par Eduard. Une des filles d’Eduard, qui hérita de l’œuvre, était propriétaire du château de Wrijle, en Hollande. Elle décida en 1954 de le vendre aux enchères ainsi que son contenu. Le tableau fut donc proposé à la vente il y a près de 70 ans et ne trouva pas preneur, Raden Saleh étant, à l’époque, démodé. Il a ainsi été conservé par la famille jusqu’à aujourd’hui.

Le tableau est présenté à la vente avec deux albums de photographies sur papier albuminés provenant de la famille Cassalette. Collectionneurs dans l’âme et passionnés de sciences naturelles, les Cassalette s’intéressent également à la photographie, invention récente. À la suite de quelques marins voyageurs, deux jeunes aventuriers Anglais arrivent à Batavia le 18 Mai 1857. Walter Woodbury et James Page se sont connus en Australie où ils sont partis à 20 ans chercher fortune, mais sans succès. L’île continent n’est pas encore favorable aux audacieux. En arrivant à Java, ils vont au contraire rencontrer des circonstances favorables, le prince Raden Saleh, de retour d’Europe depuis peu, crée un atelier de peinture, et quelques familles de négociants Européens encouragent les arts et passent commande aux jeunes photographes qui multiplient les expéditions dans l’île et produisent localement de beaux albums comme ceux présentés ici, parmi les plus anciens connus avec l’album du pharmacien de Batavia maintenant au Rijksmuseum. Ce sont de véritables incunables photographiques.


Vente aux enchères publique - Hôtel Drouot - Salle 9
Jeudi 2 décembre - 14h

Exposition publique - Hôtel Drouot - Salle 9
Mercredi 1er décembre - 11h/18h
Jeudi 2 décembre - 11h/12h

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